Découverte et formulation de l’autisme
KANNER Leo, « Autistic disturbances of affective contact », dans :
BERQUEZ Gérard L’autisme infantile. Introduction à une clinique relationnelle selon Kanner, trad. Gérard Berquez, Paris, PUF 1983
KANNER Leo, « Étude de l’évolution de onze enfants autistes initialement rapportée en 1943 », trad. inconnue, La psychiatrie de l’enfant nº38-2, 1995
Dans ces deux textes inauguraux, Kanner n’élabore pas une théorie, mais il dégage le syndrome autistique à partir d’un certain nombre de caractéristiques communes aux cas étudiés. Il repère également deux principes inhérents au fonctionnement autistique :
« Aloneness and sameness », « esseulement et mêmeté » (traduction proposée par J.-A. Miller dans la préface de La différence autistique) :
D’une part, un penchant au repli, repéré par un intérêt pour les objets et une indifférence aux personnes. Et d’autre part, la nécessité d’une répétition du même, retour à l’identique des éléments une fois apparus dans un certain ordre et une certaine situation, le caractère répétitif des actions.
ASPERGER Hans, Les psychopathes autistiques pendant l’enfance [1944], Les empêcheurs de tourner en rond, Synthélabo, Le Plessis-Robinson, 1998
J.A. Miller indique dans la préface de La différence autistique, que le terme « psychopathes », sous la plume d’Asperger, désigne ce que l’on nomme aujourd’hui les « troubles de la personnalité », moins graves que la psychose. Asperger ajoute à la population lourdement handicapée étudiée par Kanner, une population d’enfants et adultes dont les « déficiences » sont compensées par des prouesses. Dans le chapitre sur l’intelligence autistique il les distingue comme des penseurs hautement originaux. Ces élaborations sont à l’origine de l’auto-désignation des autistes Asperger contemporains qui se reconnaissent en tant qu’ « Aspies ».
BETTELHEIM Bruno, La forteresse vide [1967], Gallimard, Paris,1969
B. Bettelheim décrit les autistes comme des « maîtres du néant » qui semblent peu habiter leur corps, et s’engager dans une errance vers les objets : c’est un décentrement du lieu d’émission de la libido, dont le célèbre cas Joey est exemplaire. Enfant accueilli à l’école orthogénique de Chicago, Joey ne peut rien faire sans être mû par des machines. Ainsi, avant de pouvoir s’asseoir, il doit brancher sa table à une source d’énergie. La machine fonctionne en tant que double, ou « bord », pour Joey. Il s’en détachera progressivement en se trouvant des doubles plus humains, parviendra à se débrouiller seul et exprimer ce qu’il ressent.
* LEFORT, Robert, LEFORT, Rosine, Naissance de l’Autre, Deux psychanalyses. Nadia, 13 mois, Marie-Françoise, 30 mois, Paris, Le Seuil, 1980
Il s’agit de deux cures d’enfants placés en institution hospitalière. On en suit la progression pas à pas, à travers les notes de Rosine Lefort. Avec Nadia, le transfert s’inscrit à travers des objets pulsionnels (l’œil et la voix), et l’expérience analytique lui permettra de se constituer peu à peu comme sujet. Ce ne sera pas le cas pour Marie-Françoise, murée dans un repli autistique majeur. Cela tient au fait que, selon les auteurs, il n’y a pas d’Autre dans l’autisme pour soutenir l’objet.
A l’époque, l’autisme est considéré comme une position subjective dans le cadre des psychoses.
Vers une clinique de l’autisme
MELTZER, Donald, BREMMER, John, HOXTER, Shirley et al., Explorations dans le monde de l’autisme, trad. Geneviève et Michel Haag et Léni Iselin, Paris, Payot, 1980
Mouvement clinique de post-kleiniens qui s’éloignent d’une certaine prévalence de l’imaginaire dans la pratique de la psychanalyse avec les enfants. Ce livre présente quatre enfants atteints d’autisme, très différents dans ses manifestations chez chacun d’entre eux. Le fil rouge selon les auteurs est un « démantèlement des sensorialités », qui produit « un degré inhabituel de dépendance[…] vis-à-vis d’un objet externe », « objet maternel ou objet d’un transfert maternel, utilisé comme une extension du self ».
* TUSTIN, Frances Autisme et psychose de l’enfant, trad. Christian Cler et Mireille Davidovici, Paris, Seuil, 1986.
Tustin, post-kleinienne également, formule dans cet ouvrage la notion de « noyau autistique », partie clivée de la personnalité qui aurait « encapsulé » des angoisses archaïques. L’autiste projette des contours, ou « shapes », sur les objets réels qu’il investit pour en faire des objets autistiques, ressentis comme faisant partie du corps propre, et qui auront une valeur protectrice contre ces angoisses. L’effort du sujet autiste allant dans le sens de préserver son monde autistique, le thérapeute qui l’accompagne ne peut faire l’économie d’avoir à y entrer.
* MALEVAL, Jean-Claude, L’autiste et sa voix, Paris, Seuil, 2009
L’approche de Maleval rompt avec les théories du développement par un positionnement structuraliste. Il s’intéresse dans cet écrit aux verbalisations autistiques, qui, toutes prolixes qu’elles puissent être, sont une communication qui laisse le sujet à distance de l’objet voix. La jouissance vocale, dérèglée, fait retour sur le bord autistique qu’il a construit pour se protéger du monde extérieur. La clinique orientée par le bord (objet, double, îlots de compétence) présentée ici, se basera dès lors sur le respect des objets autistiques et de la culture de leurs obsessions, rendant possible pour le sujet une sortie, « non pas de l’autisme, mais de son monde immuable et sécurisé, ce qui lui ouvre l’accès à une vie sociale ».
MALEVAL, Jean-Claude, GROLLIER, Michel, « Actualité de l’évaluation de la prise en charge des enfants autistes. De l’ABA à l’Affinity Therapy », Autistes et cliniciens, 10 avril 2017
Les auteurs décrivent le manque de pertinence et la médiocrité des résultats des interventions comportementales intensives précoces (ABA, TEACCH, Denver) dans le traitement des autistes, notamment en termes d’adaptation sociale et d’autonomie. Ces méthodes ont été recommandées par la Haute Autorité de Santé en 2012.
Il a pourtant été constaté depuis Asperger et selon de nombreux témoignages, qu’ « un enfant autiste peut apprendre en prenant appui sur ses passions successives, sans qu’il soit nécessaire d’en passer par un séquençage de ses comportements ». Cette méthode a trouvé un nom, Affinity therapy, en 2015, inventé par Ron Süskind dans son livre très médiatique Life, animated (cité plus bas), qui relate la sortie du repli autistique opéré par son fils grâce au médium des films de Disney.
LAURENT, Éric, Le sujet autistique et l’automaton de l’écrit 2019
La rencontre particulière avec le sujet autiste se fait dans le bain de langage dans lequel il est plongé : on y trouve peu de babil, pas d’équivoque, mais « la présence d’un signifiant pur qui chiffre tout » sans en passer par l’Autre. Les enfants autistes ne s’articulent pas à la fonction de la parole mais ils ne sont pas insensibles à l’instance de la lettre. Éric Laurent cite Lacan : « il y a d’autres voix que vocales pour recevoir le langage ». [Lacan Le séminaire livre X]. La clinique avec les autistes peut s’appuyer sur « ce refus de faire usage de la langue commune et ce rapport privilégié à l’écrit » du sujet autiste, qui « s ‘accompagne volontiers de l’existence d’une langue privée, élucubration de langage écrit ».
Structure autistique ?
* LACAN, Jacques, Le séminaire livre I, Les écrits techniques de Freud, Paris, Le Seuil, 1975
Analyse du cas Dick de Mélanie Klein par Lacan. Dick est un petit garçon de quatre ans, pris en charge par M. Klein de 1929 à 1946. Elle le considérait à l’époque comme un enfant psychotique, mais a dû faire preuve d’inventivité et d’audace, voire de forçage, dans sa pratique avec lui. Mélanie Klein interprète beaucoup lors du jeu de trains initié avec Dick ; il ne joue pas vraiment et a des attitudes de repli caractéristiques de l’autisme. Lacan lit le cas à partir du schéma optique : pour Dick, « le bouquet et le vase ne peuvent pas être là en même temps » (assomption de l’image spéculaire lors du stade du miroir). C’est « un sujet qui est là et qui, littéralement, ne répond pas » [p.99]. Néanmoins, il reste « maître du langage » et est capable de mettre en jeu « une symbolisation anticipée, figée » [p.83] (cité par les auteurs de l’article Gel et dégel du S1 chez le sujet autiste)
*LACAN, Jacques, Conférence à Genève sur le symptôme, 4 octobre1975, texte établi par Jacques-Alain Miller, Bloc-note de la psychanalyse n°5
La conférence pendant laquelle Lacan se pose la question de savoir pourquoi il y a chez l’autiste « quelque chose qui se gèle ».
On y trouve également une indication clinique précieuse : « s’ils n’arrivent pas à entendre ce que vous avez à leur dire, c’est en tant que vous vous en occupez » : Lacan nous met ici en garde contre tout maternage dans l’accompagnement des sujets autistes.
LEFORT,Robert, LEFORT, Rosine, La distinction de l’autisme, Paris, Seuil, 2003
Les Lefort font le postulat d’une structure autistique, définie avec des repères lacaniens. Elle viendrait en quatrième position après la névrose, la psychose et la perversion. Ce serait une modalité radicale de la forclusion, qui ne comprend pas de délire, et réduit le statut de l’Autre… à néant. Le sujet autiste colmate ce néant par la voie de son double, qui peut fonctionner comme suppléance et voie de sortie du repli.
MALEVAL, Jean-Claude, GROLLIER, Michel, Gel et dégel du S1 chez le sujet autiste, La cause de l’autisme n°15 janvier 2020
Dans ce texte, les auteurs tentent de répondre à la question formulée par Lacan dans la conférence de Genève, en situant au niveau de la symptomatologie le « gel des affects » chez l’autiste. Donnant suite aux indications de Lacan, ils visent la structure et déduisent du gel des affects un gel du signifiant, l’affect étant la marque du signifiant sur le corps, et le signifiant ce qui « prend en charge la jouissance du sujet, rendant possible […] son expression verbale, symptomatique et corporelle ».
Les auteurs repèrent dans la lecture du cas Dick par Lacan une intuition du gel du S1, présence qui n’est pas pleinement active, mais qui laisse la possibilité d’un dégel.
LAURENT, Éric, Poursuite d’un dialogue avec Robert et Rosine Lefort, La Cause Freudienne, 2007
Reprise du questionnement déjà abordé dans les échanges de l’auteur avec les Lefort : « comment séparer l’autisme du cadre général des psychoses ? » Est-ce par « une modalité particulière de la forclusion ou par une modalité particulière du retour de la jouissance sur le corps ? »
Robert Lefort disait que « l’enfant autiste sort de l’autisme pour entrer dans la psychose ». Selon É. Laurent, il sort d’une « stabilité catastrophique » (la carapace autistique) pour glisser vers une métonymie, par « la production hors-corps [d’une succession] d’articulations signifiantes », que ce soit dans ou hors de l’autisme. Ainsi Robert, l’enfant au loup, accompagné par les Lefort, produit et use du signifiant tout seul « Au loup !», auquel il s’appareille. Éric Laurent utilise la boussole des quatre mathèmes lacaniens S1, S2, $ et a, pour situer cet appareillage. Dans la technique psychanalytique, l’analyste se fait le partenaire du sujet, avec le support d’un objet extérieur, qui porte la jouissance insupportable pour le sujet autiste.
* MALEVAL J.C. La différence autistique, Paris Saint-Denis, PUV, Université Paris 8, 2021
Les réussites existentielles des autistes n’excluent pas de grandes détresses, creusées par des rééducations directives, basées sur l’idéologie de la correspondance entre la structure psychique et la structure cérébrale.
J.C. Maleval éclaire l’approche psychanalytique de l’autisme orientée par le bord. Ce dernier est constitué par trois éléments : l’objet autistique, le double, et l’intérêt spécifique. Le sujet autiste construit spontanément ce bord pour se protéger de l’angoisse et du désir de l’Autre, qu’il cherche à éviter. Cela ne signifie pas qu’il ait une volonté de retrait social. Cette défense « s’éla-bord » car il est terrorisé. Il va s’agir de l’accompagner à la construction, au développement et à l’évidement de ce bord, afin qu’un lien social puisse s’instaurer.
J.C. Maleval exclut l’autisme du champ des psychoses. Dans la préface de cet ouvrage, l’hypothèse du gel du signifiant est questionnée par Jacques-Alain Miller, dans le paragraphe « gel versus forclusion » : le signifiant peut être mortifié, donc forclos. Peut-il être gelé ? « N’est-ce pas la maîtrise absente qui fait retour sous la forme pluralisée de ces règles absolues et ordonnancements rigides ? ». Le débat est ainsi relancé.
TENDLARZ Sylvia Helena, La Cause Freudienne n° 78 : Enfants autistes
Silvia Elena Tendlarz dans son cours de la Section Clinique à Bordeaux, le 1er février 2019, questionne la différence entre l’autisme et la psychose, l’historique de l’autisme, la structure autistique …
Il faut en premier lieu, différencier l’autisme de l’idée de « jouissance autiste ». L’autisme n’est pas une maladie de la rupture du lien comme expression de notre monde moderne… La jouissance est toujours autoérotique, autiste en ce sens, au-delà du type de lien qui prévaut dans notre monde contemporain.
Pour JAM, l’autisme au sens large, est une catégorie transclinique : c’est l’état natif du sujet auquel s’ajoute le lien social.
S’appuyer sur les passions des autistes
SUSKIND,Ron, Life, animated Le destin inouï d’un enfant autiste Traduction Pascale-Marie Deschamps, Paris, Edition Saint-Simon, 2017
En 2014, un célèbre journaliste politique y décrit sa « rencontre » avec son fils autiste Owen, grâce au monde de Disney. Owen est ainsi sorti de son retrait, il s’est mis à parler et à développer des capacités. Ron Suskind témoigne précisément du soutien des inventions d’un autiste par les membres de sa famille.
PERRIN CHEREL, Myriam (dir.) Affinity therapy. Nouvelles recherches sur l’autisme, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2015
En référence au succès médiatique du livre de Suskind, les auteurs interrogent la considération des affinités dans les différentes approches le l’autisme. Les nombreux témoignages de parents et d’autistes montrent que l’association de la culture par les sujets autistes de leurs intérêts spécifiques et du savoir-y-faire de leur entourage, produit des effets thérapeutiques certains. L’ouvrage est aussi une réflexion politico-clinique sur la prise en compte de l’intérêt spécifique dans le traitement institutionnel des autistes, objet considéré comme obstacle à éradiquer dans les thérapies comportementales.
GAY-CORAJOUD, Valérie, Nos mondes entremêlés. L’autisme au cœur de la famille, Impri’vert Montpellier, 2018
Valérie Gay-Corajoug s’est spécialement intéressée aux productions de son fils Théo, qui, vers trois ans et demi, inventa une langue néologique que son entourage parvint à comprendre. Ses proches se mirent alors à lui parler…
BARNETT, Kristine, L’Étincelle. La victoire d’une mère contre l’autisme trad. Sévrine Quelet, Paris, Fleuve éditions, 2013
Kristine Barnett est la mère de Jacob, diagnostiqué autiste à l’âge de deux ans. Suite aux échecs des thérapies mises en place pour lui, elle décide contre l’avis de tous de le retirer des institutions où il est pris en charge. Avec l’aide d’un spécialiste, elle l’aide à développer ses intérêts particuliers qui prennent la forme d’une passion pour les mathématiques et l’astronomie. Il entre à l’université à l’âge de dix ans…
L’autisme par des autistes
WILLIAMS, Donna, Si on me touche je n’existe plus. Le témoignage exceptionnel d’une jeune autiste, trad. Fabienne Gérard, Paris, Robert Laffont, 1992
WILLIAMS, Donna, Quelqu’un, quelque part, J’ai lu, 1996
« On peut être personne nulle part » de deux façons : D. Williams se dit à la fois incapable d’agir spontanément pour elle-même et capable de tout faire de manière automatique, sans conscience de soi. Ce témoignage illustre la perte d’identité et la constitution de doubles pour y remédier : Carol et Willie, les doubles imaginaires de Donna Williams, dont elle finira par se passer, lui ont permis de faire le chemin vers une identité plus assumée. Mariée deux fois, elle a élaboré des stratégies pour faire face à l’angoisse générée par la relation amoureuse. Ainsi, elle a eu recours à des personnages de substitution pour identifier les différents « visages » de son premier mari en fonction des circonstances.
GRANDIN, Temple, Ma vie d’autiste, [1986], Odile Jacob, Paris, 1997
GRANDIN, Temple, Penser en images [1995], Paris, Odile Jacob, 1997
L’expérience singulière de T. Grandin va dans le sens d’un gel des affects : « quelque chose s’est passé au cours du processus qui a déconnecté le « fil » dans le cerveau qui rattache un enfant à sa mère et aux autres êtres humains qui lui offrent leur affection[…] ». Son invention, la « machine à serrer », va venir suppléer à cette ascèse sentimentale, en lui procurant le sentiment d’être « portée, câlinée, bercée doucement dans les bras de maman ».
Elle relate également son branchement sur une source du vivant extérieure à elle-même (l’identification à un bovin), et comment elle trouvera ensuite un mode d’inscription dans le lien social à travers ses recherches sur le comportement et le traitement du bétail.
DESHAYS, Annick, Libres propos philosophiques d’une autiste, Paris, Presses de la Renaissance, 2009
A. Deshays, jeune femme autiste mutique et dépendante, décrit un corps non habité de l’intérieur, et en même temps l’urgence de relier son esprit à son corps. Elle se défend avec son « armure » contre des tempêtes émotionnelles (p.15). « Je vois mon corps en spectatrice et je l’imagine comme une documentation détaillée sur internet […] » (p.56) Ce livre évoque aussi l’expérience de sa différence, les aspérités des diagnostics et des évaluations qui livrent une sentence d’inaptitude, basée sur des normes d’adaptation.
BABOUILLEC, Algorithme éponyme et autres textes, Paris, Payot & Rivages, 2016
Babouillec est le pseudonyme d’Hélène Nicolas, une jeune femme autiste déficitaire qui ne parle pas et n’a jamais été scolarisée. Au bout de vingt ans, elle a commencé à écrire des textes poétiques avec des lettres en carton…
« Le Silence est partout dans mon corps, Shut dans ma bouche, shut dans mes mains, dans mes oreilles, ma peau, mes yeux. Shut […] Par peur, par pudeur, rien ne bouge dans ce corps, mon corps, nos corps du Silence. » p.79
GERLAND, Gunilla, Une personne à part entière, [1996], Autisme France Diffusion, 2004
G. Gerland a reçu le diagnostic d’autisme à l’âge de 29 ans. C’est un sujet qui se soutient au départ d’une image, qui cherche à être conforme à une norme sociale et se vit comme une « contrefaçon des autres gens, une sorte de photocopie ratée » (p.121)
Son témoignage illustre le dégel du S1 théorisé par J.C. Maleval, et l’émergence assumée, supportable, de l’objet voix : « Quelque chose s’était déclenché en moi, […] je n’avais plus besoin de penser à tout ce que j’allais dire, de l’écrire mentalement : la parole et la pensée allaient de pair spontanément et je n’avais plus besoin de donner à la voix l’ordre de dire ce que je voulais dire ». (p.224)
G. Gerland collabore aujourd’hui professionnellement à des recherches sur l’autisme et le syndrome d’Asperger.
THEVIOT, William, Journal d’un autiste Asperger, un an dans ma bulle de verre
Ce livre est le témoignage, au jour le jour, de William Theviot, autiste et pianiste. Il y décrit de façon remarquable son monde intérieur, et son goût du partage pour les histoires oubliées. “Dans ma fureur de lire et de recueillir une histoire méconnue à la frontière de la mienne, je n’écris et ne joue que dans la perspective d’être entendu exhaustivement, dans une rage destructrice et paradoxale d’auto-conservation” dit-il. Il y témoigne de ses trouvailles, guidé par “l’impression qu’il y a une jeune fille ou un artiste à “déterrer” quelque part, non loin, à portée de sensibilité, dans des trombes de papier oubliés, et que si ce n’est pas moi qui le fait, malheureusement personne ne le fera”. Aussi ce livre permet de saisir l’importance et les enjeux de l’extraction de la voix : “Je vis avec mon propre silence assourdissant, l’inexprimable qui n’arrive pas à sortir de moi, comme des impacts de balle qu’il faudrait enlever sous anesthésie”.
(citations et commentaire par Gilles Mouillac)
HORIOT, Hugo, L’empereur, c’est moi, Une enfance en autisme Paris, L’iconoclaste, 2013
A travers cette autobiographie, Hugo Horiot, autiste Asperger, décrit son enfance mutique, son désir d’être un autre et sa découverte du théâtre. Il s’emploiera à « mettre un masque sur sa différence » (p.198) pour pallier la vacuité de son identité. C’est une autre stratégie que celle du double, qui, elle, implique davantage de transitivisme. Mais cette expérience de dissimulation procure aussi un douloureux sentiment d’isolement et une colère dont l’auteur témoigne dans cette œuvre, adaptée au théâtre en 2016.
LEGER, Jacqueline, Un autisme qui se dit… Fantôme mélancolique, L’Harmattan, 1997.
Jacqueline Léger a été diagnostiquée autiste par un psychiatre lorsqu’elle était enfant. Elle ne répondait pas quand on l’appelait, ne souriait pas, griffait, parlait très peu et préférait laisser ses nombreux frères et sœurs s’exprimer à sa place. Quand sa mère lui demande d’appeler son frère Guy et sa sœur Catherine, elle ne peut dire que Guy, car c’est court et aigu, mais ce n’est pas sa propre voix qu’elle met en jeu, « je portais la voix de ma mère en quelque sorte », explique-t-elle dans un reportage. Le psychiatre dit aussi à sa mère qu’elle est un peu perdue au milieu de sa fratrie et qu’il faut s’occuper un peu plus d’elle, ce qui vient contrer la hâte d’autonomie de ses enfants que sa mère ressentait, et sûrement modifier sa position subjective… Jacqueline Léger a pu progressivement s’extraire de son retrait. Elle a fait une analyse et travaille aujourd’hui en tant que psychologue.
SELLIN, Birger, Une âme prisonnière, Robert Laffont, Paris, 1994
A vingt ans, Birger Sellin, autiste profond, est placé devant un ordinateur. Il se met alors à écrire (personne ne sait comment il a appris) et à témoigner de sa souffrance, de son combat intérieur pour rejoindre le monde des humains. La communication facilitée le décharge de la responsabilité de ses écrits. Il a l’illusion que c’est sa mère qui lui fournit l’énergie pour écrire, sans quoi l’angoisse qui surgit est une « menace pour la vie » (p.160). Il décrit l’autisme comme « la coupure de l’homme des premières expériences simples comme des expériences essentielles et importantes par exemple pleurer » (p.102)
TAMMET, Daniel, Je suis né un jour bleu, A l’intérieur du cerveau extraordinaire d’un savant autiste, New York, Londres, Toronto, Sydney, Free Press 2006, trad. Nils C. Ahl, Paris, Les Arènes, 2007.
Le livre commence ainsi : « Je suis né le 31 janvier 1979. Un mercredi. Je le sais parce que dans mon esprit, le 31 janvier 1979 est bleu. Les mercredis sont toujours bleus, de même que le nombre 9 ou le bruit d’une dispute. »
Daniel Tammet est atteint du « syndrome savant », génie des nombres et des langues. Il est doué de synesthésie, il voit les nombres et les mots en couleur. Il est extrêmement ritualisé et lorsqu’il est trop angoissé, il compte.
Son maniement de la langue lui a permis un dégel progressif de sa vie affective. Il dit s’être rapproché de ses propres sentiments pour son compagnon, sa famille et ses amis alors qu’il ne ressentait pas de lien émotionnel avec eux avant. Cette intégration s’est faite par l’usage du signifiant à travers l’invention d’une langue privée et poétique : « Pour pouvoir dire notre propre vécu, il nous faut de la poésie. Sans poésie on est muet. On peut répéter des choses, comme moi je faisais à dix ans, des dialogues dans les romans, comme un perroquet qui ne comprend pas le sens de ce qu’il dit, mais à partir du moment où on comprend le sens de ce qui est dit, la parole devient forcément multiple ». (Conférence à l’université de Rennes, 28 mars 2018)
(Les citations extraites de ces témoignages sont issues de l’article de J.C. Maleval et M. Grollier Gel et dégel du S1 chez le sujet autiste, sauf celles de la présentation du livre de Jacqueline Léger, de Daniel Tammet, et celles du journal de W. Théviot)
* Les ouvrages marqués d’une astérisque sont consultables à la bibliothèque de l’ACF en Aquitaine.
La voie d’accès pour les consulter : acf.dr-aquitania@causefreudienne.org